24/04/2012

La fracture intellectuelle. Clé de voûte du système

On peut certes attribuer la responsabilité du score de Le Pen à Sarkozy qui a passé 5 ans à jouer avec le feu au niveau idéologique, tout en cultivant le terreau social du FN (chomage, corruption, frustrations économiques). Mais cela ne dédouane pas non plus la gauche.  

Chirac évoquait la fracture sociale mais a pris bien soin de ne pas la ressouder. Sarkozy l'a rebaptisée "rupture" pour mieux l'aggraver. Et le PS, lui, l'a occultée.

Quand Attac voulait faire de l'éducation populaire à la fin des années 90, pour montrer en quoi la mondialisation et l'orientation libérale de l'Europe, entièrement asservie à "l'organisation commerciale du monde" (plus précisément l'OMC), et la financiarisation de l'économie (la fameuse dictature des marchés), le PS ne l'a pas suivi. Quand Attac dénonçait la mise en concurrence des peuples les uns contre les autres, le dumping social et les délocalisations, le PS n'a pas suivi.

Attac a fait long feu. Pas facile d'expliquer le concept abstrait de "dictatures des marchés" aux petites gens qui galèrent et attribuent leur déboires à la fraude du voisin, pour peu qu'il ne soit pas français de la même souche, qu'il ne soit pas originaire de la même religion...

Pendant ce temps, l'éducation pupulaire de droite fonctionnait bien.
Dénigrement permanent de l'Etat, de la fonction publique, stigmatisation des "nuisibles", le processus d'atomisation sociale façon TF1 a bien fonctionné. Toute considération collective autre que l'approche nationaliste est disqualifiée. La "dissociété" de Jacques Généreux est bien là. 

Le PS, lui, restait atone.

Les 18% de Marine Le Pen viennent nous le rappeler. La fracture intellectuelle est là. Soigneusement entretenue. 

La droite a réussi à retourner l'arme FN contre la gauche. La droite a réussi (involontairement?) à dévitaliser l'electorat de gauche, en "parquant" durablement à l'extreme-droite une grande partie des votes des plus modestes (1), et à les maintenir dans l'obscurantisme du FN.

Entre-deux-tours.

Je scrute et reste attentif. Comment le PS va-t-il réagir à cette nouvelle offensive poujadiste de Sarkozy (2)? Bien sûr, l'homme est sans doute décrédibilisé (on s'étranglera juste une fois de plus de la mauvaise foi légendaire de la part de celui qui se gave de l'argent du contribuable plus ou moins légalement et parle de "l'Etat qui se sert" en évoquant des actes de vol (les fraudeurs), tout en augmentant la TVA, pour financer ses campagnes électorales, entre autres.. ). Mais le discours passera sur le fond auprès d'une grande partie de la population.
Si le PS n'est pas capable de défendre l'impôt sur les successions, de rappeler aux petites gens la nécessité de redistribuer les cartes pour garantir l'égalité des chances et lutter contre les inégalités, alors cette fracture intellectuelle se sera élargie encore un peu plus. Et la droite sera majoritaire pour plusieurs décennies encore...


Notes : 

(1) Etude sur l'électorat de Marine le Pen

 L’éducation reste un marqueur très important

L’électorat de Marine Le Pen est ensuite marqué par une «certaine souffrance sociale». Il y a une surreprésentation de cet électorat, avec 26% de ces personnes qui affirment s’en sortir très difficilement avec les revenus de leur foyer, 20% chez ceux qui s’en sortent plutôt difficilement, contre seulement 14% chez ceux qui s’en sortent plutôt facilement avec leurs revenus.

L’éducation reste un marqueur fort de ce vote. Dans cet instrument, si 22% des personnes ne sont pas titulaires du baccalauréat, la proportion s’élève à 41% chez ceux qui apprécient le plus Marine Le Pen. Et plus on accumule les diplômes, moins on a tendance à voter FN. «Ce que l’on voit, indique Anne Jadot, c’est une confirmation que la barrière de l’éducation n’est pas levée chez les électeurs FN.»

(2) Sarkozy le 23/04/2012 discours sur le vrai travail

«Le vrai travail, c’est celui qui se dit "oh, je n’ai pas un gros patrimoine, mais le patrimoine que j’ai, j’y tiens (...) ce patrimoine-là, on ne me le volera pas"», a-t-il insisté. «C’est celui qui dit "toute ma vie, j’ai travaillé, j’ai payé mes cotisations, j’ai payé mes impôts, je n’ai pas fraudé, et au moment de mourir je veux laisser tout ce que j’ai construit à mes enfants sans que l’Etat vienne se servir"»



15/04/2012

Rupture et dérupture. Sarkozysme et anti-sarkozysme sont sur un bateau...

Pantani politique

Si, si, le Sarkozysme, ça a existé.

Oui c'était du vent, mais le vent, ça fait des dégâts bien réels.

Le Sarkozysme,  ça pourrait être à la Vème République ce que Armstrong a été au Tour de France. Redoutable, invincible, dominateur, mais dénigré, car objet de toutes les suspicions.

Et peut être ça ne sera même que Pantani. Auteur de l'ascension la plus éblouissante de l'histoire, la plus grosse performance de grimpeur, mais factice. L'exploit qui fait pschiittt. Et l'amertume, la honte, pour ceux qui y ont cru jusqu'au bout, qui se sont extasié à tort.

Certes Sarkozy reste présumé innocent de toutes les affaires qui le cernent. Mais peu importe qu'il demeure à jamais le virtuose du "Pas vu, pas pris", peu importe que Van Ruymbecke finisse sa carrière bredouille, le verdict de l'histoire sera lui, implacable.

Celui d'une énorme illusion. Remarquable par sa durée. 5 ans, ce n'est pas rien. Plus si l'on compte le festival médiatique depuis que Sarkozy a accédé au ministère de l'intérieur.

Des années où les masses n'y ont vu que du feu.

L'opinion, cette "chose" vulnérable qui fait la pluie et le beau temps (à la guise des gouvernants)

Cinq années surtout accablantes pour l'opinion, en fait.

Oui je sais, l'opinion ça n'existe pas. C'est une vue de l'esprit. Mais tant pis, laissons nous aller à cette approximation journalistique si fréquente qui consiste à dire que l'opinion pense, veut et ne veut pas, ou même décide...

L'opinion donc s'est faite mener par le bout du nez par un orateur hors-pair, un vendeur d'aspirateurs hors du commun. Un brasseur d'air fournisseur d'émotions, un dramaturge du fait divers, tous les soirs à 20h à domicile, sur votre canapé, dans votre bocal. C'est gratuit.

L'opinion, sous influence, y a cru à cette idée séduisante, qu'il suffisait d'agir, au lieu de réfléchir. Elle y a cru à l'idée qu'il fallait faire une rupture avec l'héritage républicain. Qu'il ne fallait plus s'embarrasser de principes moraux, éthiques, politiquement corrects. Elle lui a fait confiance à l'homme providentiel qui va tout résoudre en ne changeant rien. Qui va choper les coupables de tous les maux et réhabiliter la France qui se lève tôt. Elle a cru qu'il suffisait de travailler plus pour que tout rentre dans l'ordre. 

"Foutez-vous un bon coup de pied au cul et tout ira mieux", nous disait-il. Voilà, on se l'est mis ce coup de pied au cul, pendant que lui s'amusait bien de son côté. Et on n'est pas plus avancé.

Quinquennat de rattrapage ou de cicatrisation?

Pour moi, militant lambda de la génération "Attac" laminée par le 21 avril 2002, le purgatoire est décidément très long. On a pris 10 ans dans la vue et on doit assister impuissants à ce qu'on signalait à la fin des années 90: dictature absurde et morbides des marchés financiers, mondialisation prédatrice et aveuglante, planète en perdition. 

Aujourd'hui je devrais m'engager à fond entre Eva Joly et Mélenchon. Pourtant je continue à rester mesuré, patient. Résigné derrière Hollande. Pourquoi donc?

L'opinion a cédé à la facilité en 1997, elle reste convalescente. Pas encore assez libérée de l'emprise de Sarkozy à mon goût. Elle hésite même encore à lui consentir un charitable quinquennat de rattrapage lorsqu'il revient jouer la repentance sincère à la télévision. Mendier une seconde chance, un sursis, un rattrapage.... Un comble pour celui qui a pavané pendant des années en promulguant la culture du résultat, et en se montrant impitoyable envers ceux qui échouent. Il y a de quoi tousser. Mais l'opinion s'en offusque à peine.

Opinon déboussolée

Ou bien, si comme le préssent Mélenchon, le vent se met soudainement à tourner en faveur de la gauche, et que celle ci sort majoritaire du scrutin alors que cela fait 10 ans qu'elle est minoritaire y compris dans les débats de société, j'aurais eu tort et ce sera tant mieux. Mais ce changement de vent soudain ne constituera qu'un symptome d'une versatilité de l'opinion plus forte que je pouvais le penser. Si l'opinion suit le vent qui tourne au jour le jour, ce n'est pas spécialement une bonne nouvelle pour la gauche, car cela ne peut traduire qu'une adhésion fragile.

Bref, je crois que l'opinion ne peut pas être trop secouée pour engager la "dérupture", car l'opinion revient de loin. Oui on est revenu à la case départ. Comme prévu on a perdu 5 ans, si ce n'est plus. On a beau s'impatienter, un balancier ne peut revenir de la droite vers la gauche sans devoir passer par le centre. Hollande donc. Parfait cataplasme pour recoller les morceaux. Ca aurait pu (dû même) être Bayrou, mais la machine à élections du PS fonctionne encore.

Antisarkozysme canal historique vs antisarkozysme d'alternance

Oui, en misant le premier sur l'honnêteté, l'intégrité, la sincèrité, l'humilité, et la lucidité, Bayrou était l'antisarkozyste historique. Mais il s'est fait piquer la place. Hollande est un opportuniste perspicace, grand spécialiste de l'alternance, qui a bien compris qu'un président sortant ne peut être réélu que s'il représente l'opposant au premier ministre en place. Et Sarkozy lui n'a pas compris qu'en ayant vampirisé son  premier ministre, il se sacrifiait lui même. Rien à vopir avec Chirace et Mitterand. Quoi de plus drôle que d'entendre aujourd'hui les membres de la majorité affirmer sans rire que le "vrai changement", c'est Sarkozy ! Bref Hollande a compris depuis le début que Sarkozy s'est accablé tout seul d'un handicap fatal, et que les français étaient prêts à lui préférer n'importe quel adversaire en face, pourvu qu'il soit son antithèse. Hollande est donc devenu antisarkozyste de circonstance, d'alternance pourrait-on dire. Bien aidé depuis le début par les évenements et d'autres protagonistes (DSK, Eva Joly qui se sabordent, Mélanchon qui fait campagne pour lui...), tout semble bien rouler pour lui à la veille du scrutin.

Une campagne non décisive

Pourtant "Flanby" nous inquiète et nous inquiètera jusqu'au bout. Peut-on reprocher à François Hollande de mener la campagne qu'il fait? Je l'ai souvent fait c'est sûr. Mais en même temps, peut-on lui reprocher de jouer sur le contrepied permanent et systématique? Sans autre portée que l'opposition parfaitement symétrique? Quand pourra-t-on juger de la pertinence de cette stratégie?

Le contrepied est absolu, jusque dans la façon d'envisager la campagne. Sarkozy avait fait une bonne campagne et a enchainé un mauvais quinquennat. Hollande fait une mauvaise campagne, non décisive, sans doute dans l'espoir un brin superstitieux que cela lui fasse faire un bon quinquennat. Et plagiant une dernière fois Bayrou dans l'idée que celui qui ne promet rien ne peut pas décevoir. Comment distinguer l'honnêteté du manque d'ambition? Il suffirait peut être d'assumer plus clairement ses convictions. Mais pour ça je crois qu'on peut aller se brosser...

Trempage, essorage ou repassage....

Entre un candidat qui ne veut pas se mouiller et un autre mouillé dans trop de choses, même si cela semble peu probable, l'issue peut encore basculer.

Du coup, je touche encore du bois. Parce que vu tout ce qu'on a avalé sans sourciller ces dernières années, tous ces évenements irrationnels sortis du chapeau depuis 2002 (21 avril inclus), il ne faut pas exclure un quinquennat de rattrapage qui nous sortirait, comme ça,  le 12 mai, d'un chapeau ou d'un dessous de table.. à repasser...

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